Quelles sont les perspectives d'évolution du marché immobilier pour la seconde moitié de l'année 2019 ? Les prix vont-ils continuer de flamber à Paris ? Jusqu'où les marges de négociation descendront-elles ? Michel Mouillart, professeur d'économie et porte-parole du baromètre LPI-SeLoger, nous répond
Quel bilan tirez-vous de l'évolution du marché immobilier français sur les six derniers mois ?
Michel Mouillart. Après un début d’année 2018 en demi-teinte, le marché a repris des couleurs au second semestre. Il avait alors bénéficié de la baisse des taux d’intérêt, du rallongement de la durée des prêts mais aussi - et surtout - d’une baisse rapide du montant des apports personnels qu’exigent les établissements bancaires. Depuis le début de l’année 2019, le mouvement s’amplifie et les taux d’emprunt continuent de baisser. Les taux d’apports personnels poursuivent leur recul. Quant à la durée des prêts, elle continue de s’allonger. En conséquence de quoi, les ventes ont retrouvé de la vigueur. Le redémarrage auquel nous assistons est, sinon spectaculaire, à tout le moins très significatif de la vigueur retrouvée du marché immobilier. D’après le baromètre LPI-SeLoger, au cours des trois derniers mois, les ventes de logements anciens ont ainsi progressé de 8 %. C’est considérable. Et cela ne fait que confirmer la reprise du marché que nous avions constatée au second semestre 2018. Les six mois qui viennent de s’écouler délivrent donc un message positif d’encouragement. D’autant que tout nous laisse à penser que ce rebond d’activité devrait faire de l’année 2019 un meilleur millésime que les précédents.
Bon à savoir
- En France, un logement ancien coûte 3 594 €/m².
- Sur l'année, la hausse atteint 3,5 %.
La hausse des prix ralentit dans la quasi-totalité des grandes villes ?
Il est effectivement intéressant de souligner qu’en dépit de la reprise du marché immobilier, le ralentissement de la hausse des prix se poursuit. Il se renforce même au fil des mois. En mai dernier, sur l’ensemble des logements anciens, la hausse des prix atteignait 3,5 %, en rythme annuel. À titre de comparaison, en 2018, à la même époque, les prix progressaient de 3,9 % sur un an. Cela illustre parfaitement le phénomène de ralentissement qui touche le prix de l’immobilier français. Pour autant, force est de constater que ce ralentissement tend à s’essouffler. On voit d’ailleurs que sur les trois derniers mois, les prix des appartements anciens ont continué de ralentir, avec une hausse de 1,7 %. En revanche, sur le marché des maisons, et comme nous l’avions détecté dès le début d’année, le rythme de progression des prix se renforce. À fin mai, on est à 3,6 % de hausse sur le trimestre.
Globalement, le marché de l’immobilier continue de ralentir...
Oui, mais ce ralentissement est tout de même moins marqué qu’au cours des derniers mois. Et l’on voit même réapparaître des tensions sur le marché des maisons, avec par endroits, une demande qui dépasse l’offre disponible. Mais chaque année, à la même époque, des tensions ressurgissent sur le marché des maisons car il s’agit là d’un phénomène saisonnier. Tout au plus constate-t-on que, cette année, les tensions sont moins prononcées qu’elles ne l’étaient en 2018 sur la même période. À fin mai 2019, on était à 3,6 % de hausse sur un an alors qu’à la même époque de l’année, en 2018, la hausse atteignait 4,6 % sur le marché des maisons. Pour ce qui est des appartements, par contre, les chiffres actuels sont comparables à ceux de l’année dernière à la même époque.
À Bordeaux, le ralentissement des prix immobiliers est spectaculaire ! ».
Michel Mouillart, porte parole du baromètre LPI-SeLoger.
La tendance au ralentissement pourrait-elle s'inverser ?
Il n’y a aucune raison pour que cette tendance s’inverse en ce qu’elle illustre les limites de la capacité des ménages à absorber des hausses de prix supplémentaires. À défaut de s’inverser, la tendance actuelle au ralentissement de la hausse des prix s’atténue toutefois. Mais c’est, peu ou prou, ce à quoi nous nous attendions. Tout cela nous laisse donc à penser que pour l’année 2019, la hausse du prix de l’immobilier ancien devrait se situer autour de 3 %. Les signaux sont par conséquent rassurants. Au global, force est cependant de constater que la hausse des prix qui a marqué le marché au cours des dernières années a tout de même affecté la solvabilité des nouveaux acheteurs.
https://youtu.be/RsWuIAQDowg
Bon à savoir
- Le prix au m² d'une maison avoisine 3 185 €.
- Pour un appartement, comptez 3 976 € du m².
La « fièvre acheteuse » et la hausse des prix ont-t-elles déserté les grandes villes (Bordeaux, Rennes) ?
À fin mai, le ralentissement se poursuit sur Bordeaux et sur Lyon, pour ne citer que ces deux villes. Sur Bordeaux, le ralentissement des prix est même spectaculaire. Fin 2018, la hausse y atteignait 10,2 % et même 16 % au début de l’été 2018. Or, en mai dernier, les prix des appartements bordelais n’ont augmenté que de 2,8 %. Il s’agit là d’un net coup de frein, comme dans la plupart des grandes villes : Lyon, Nantes, Strasbourg et même Paris. En revanche, des tensions apparaissent toujours sur le marché immobilier rennais. Rennes, c’est l’exception qui confirme la règle. Dans cette ville, on est toujours sur une hausse à deux chiffres : + 11,2 % de hausse annuelle et contre toute attente, les prix repartent à la hausse à Brest avec plus de 10 % de hausse. Mais même si les hausses constatées sur Brest sont éphémères, elles ne sont pas sans bouleverser le marché dans sa globalité. Exception faite, enfin, d’Angers où le rythme de la hausse des prix s’accélère (+ 8,1 % de hausse annuelle), partout ailleurs, c’est l’assagissement qui prévaut. Enfin, sur Paris, la hausse annuelle des prix dans l’ancien est de 6,1 %. Depuis l’été 2018, la progression des prix parisiens que l’on constate d’un mois sur l’autre, tourne autour de 6 % et dans douze arrondissements, les prix au m² dépassent 10 000 €. Ce n’est donc pas parce que le rythme de la hausse ralentit que les mouvements de propagation des prix ont atteint leurs limites pour autant. En clair, la hausse des prix, même si elle tend à marquer le pas, se poursuit. Et ce mouvement ne tient quasiment aucune des villes de plus de 100 000 habitants à l’écart.
Le phénomène de gentrification qui touche la capitale affecte aussi Bordeaux, Lyon, Brest ou encore Rennes ».
Michel Mouillart, porte parole du baromètre LPI-SeLoger.
En se propageant aux communes limitrophes, la hausse des prix dans les grandes villes risque-t-elle de déstabiliser les marchés immobiliers locaux ?
Il y a maintenant une différence par rapport à ce que l’on avait constaté jusqu’à présent. La hausse de la demande à laquelle on assistait dans certaines grandes villes s’étendait aux communes limitrophes, déstabilisant ainsi leurs marchés immobiliers par des évolutions de prix inconnues jusqu’alors. Ce phénomène est toutefois en train de s’atténuer. Par exemple, autour de Bordeaux, Pessac et Mérignac enregistrent actuellement de très faibles progressions, voire même accusent de légères baisses de prix. Après un gros coup de chaud, les choses sont donc retournées à la normale. La raison en est que la demande locale arrive à la limite de ce qu’elle est capable de supporter, en termes de prix. Les capacités financières des ménages ne sont pas extensibles à l’infini. Malgré l’aide des banques qui soutiennent le marché à bout de bras, les prix de l’immobilier ne peuvent pas croître indéfiniment sans assécher fortement - et durablement - les marchés immobiliers locaux. Sur Bordeaux, la hausse était artificielle. Elle résultait essentiellement de l’arrivée d’une nouvelle clientèle disposant d’une plus grande capacité financière que la clientèle locale. Ce mouvement a, lui aussi, fini par trouver ses limites.
Les disparités de prix entre les grandes villes et les communes de moindre importance vont-elles s'accentuer ou s'atténuer ?
Les éléments qui contribuent à cette dualité des prix renvoient à trois fondamentaux : le pouvoir d’achat, le dynamisme économique et la pression démographique. Or, aujourd’hui, il est clair que sur toute une partie du territoire, aucun de ces trois éléments, pourtant fondamentaux, n’est bien orienté. Les villes où les prix baissent, parfois depuis plusieurs mois, sont des villes où il n’y a guère de chances pour que la tendance baissière s’inverse prochainement. Tout au plus peut-on espérer que la baisse s’y fera moins forte… Et si le fait que les prix du m² à Metz ou encore à Saint-Étienne s’effritent n’a rien de nouveau, il est plus surprenant de constater que les prix baissent de plus de 4 % dans des villes comme Amiens ou encore Reims. Dans des villes de 60 000 à 100 000 habitants (Pau, Troyes, Quimper), les prix reculent d’au moins 5 % sur l’année. C’est la quasi-totalité des villes où les prix au m² sont inférieurs à 1 600 € qui connaissent une baisse du prix de leur immobilier. À l’inverse, la tendance est haussière dans les villes où se loger coûte plus de 1 600 € du m².
La demande locale arrive à la limite de ce qu’elle est capable de supporter, en termes de prix ».
Michel Mouillart, porte parole du baromètre LPI-SeLoger.
À Paris, avons-nous atteint un « plafond de verre » ? Ou la hausse des prix devrait-elle se poursuivre ?
Le pouvoir d’achat des ménages qui arrivent sur le marché immobilier parisien est élevé. Très élevé, même. Il n’y a donc pas, à proprement parler, d’inadéquation entre le pouvoir d'achat immobilier des ménages parisiens et les prix des logements dans la capitale. C’est même tout le contraire. S’ils achètent à Paris, c’est parce que, pour la plupart d’entre eux, les acquéreurs viennent y chercher la proximité avec les réseaux de transport et les équipements culturels… D’autre part, ils cherchent à se rapprocher de leur travail. Mais tout cela a un prix et partout, ce prix est élevé. Ce mouvement de gentrification n’est toutefois pas récent. Il n’est pas non plus propre à Paris. En effet, ce phénomène touche toutes les grandes villes (Bordeaux, Lyon, Brest ou Rennes, par exemple). Si les prix parisiens sont hauts et qu’ils vont continuer d’augmenter, c’est parce que la demande y est forte et financièrement bien dotée. Force est donc de constater qu’une sélection s’opère et que le marché de l’immobilier parisien se ferme, non seulement aux ménages modestes mais aussi, maintenant, aux ménages aux revenus moyens, voire moyens-élevés.
Bon à savoir
Tous logements confondus, la marge de négociation est de 4,1 %.
Pourquoi les marges de négociation sont-elles de plus en plus ténues ? Et comment pourraient-elles reprendre de l'épaisseur ?
Les marges de négociation continuent de baisser. En mai, elles s’établissent même à des niveaux que l’on n’avait encore jamais vus, aussi bien pour les maisons que pour les appartements. Dans certaines régions (IDF, Aquitaine, Rhône-Alpes), les marges sont ainsi descendues à des niveaux très, très bas, moins de 3 %, en moyenne. Mais deux situations très différentes coexistent. D’une part, sur les marchés porteurs, la forte tension réduit d’autant les marges. D’autre part, sur des marchés moins prestigieux (Picardie, Centre, Nord-Pas-de-Calais), les marges sont également de l’ordre de 3 %. Mais ce sont là deux causes résolument différentes qui aboutissent pourtant aux mêmes effets. Dans un cas, celui des marchés immobiliers peu dynamiques, pour qu’ils puissent réaliser leurs ventes dans de bonnes conditions, les offreurs doivent calibrer leurs prix au plus juste. Les prix signés sont donc très peu éloignés des prix affichés. Dans l’autre cas, celui des marchés de pénurie où la demande dépasse l’offre, les acheteurs renoncent à leur pouvoir de négociation et font des offres au prix afin d’être mieux positionnés que leurs concurrents et d’éviter que le bien ne leur échappe.
Les taux des crédits immobiliers ne devraient pas remonter avant l'automne 2020 ».
Michel Mouillart, porte parole du baromètre LPI-SeLoger.
Dans quelle mesure le rebond que connaissent les transactions dans l'ancien est-il lié à l'action des établissements bancaires ?
À elle seule, la baisse des prix n'explique pas la vigueur retrouvée du marché immobilier français. Si le marché repart, c’est parce que les banques ont su adapter leur stratégie. Au-delà des taux immobiliers qui sont bas, ce qui importe, c’est le taux d’apport personnel qui est exigé. Or, en mai dernier, ces taux s’établissaient, en moyenne, à 14 % alors que, de 2008 à 2014, le taux moyen d’apport personnel atteignait 24 %. L’action des établissements bancaires a donc été déterminante dans le soutien de la demande, puis dans le déclenchement de la reprise de l’activité. Car il est également à noter que les banques ont, sinon compensé, à tout le moins très largement atténué les conséquences de la dégradation des soutiens publics à la primo-accession.
Bon à savoir
- Sur le trimestre, le volume des transactions progresse de 8 %.
Les banques parviendront-elles à garder le rythme ? Doit-on s'attendre à une remontée des taux d'intérêt ?
Les taux immobiliers n’ont aucune raison de remonter cette année. Pas plus qu’ils ne devraient remonter pendant une grande partie de l’année prochaine. Depuis le début du mois de juin, le taux des crédits immobiliers - qui était de 1,29 % en mai - continue de baisser. Il est, par ailleurs, probable qu’en septembre prochain, ce taux sera tombé à 1,2 %, en moyenne et sans perspective de remontée de ces taux avant l’automne 2020.
Quelles sont vos prévisions pour les six prochains mois ?
L’amélioration devrait se poursuivre. 2019 sera meilleure que 2018 avait pu l’être.
Pouvez-vous nous préciser pourquoi ? (facultatif)