Immobilier : jusqu'ici, tout va bien, jusqu'ici, tout va bien...

Xavier Beaunieux 29 avr 2019
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Alors que tous les indicateurs sont au vert, se pourrait-il que nous nous acheminions vers un retournement du marché immobilier hexagonal ? C’est une éventualité qu’évoque Thomas Grjebine du Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII). Explications.

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Immobilier : jusqu'ici, tout va bien, jusqu'ici, tout va bien...
Sommes-nous à l'aube d'un retournement du marché immobilier ? ©rh2010

Qu'est-ce qui vous fait dire que le marché immobilier pourrait se retourner ?

Thomas Grjebine : Plusieurs signes devraient nous alerter. Tout d’abord, on constate que le secteur de la construction est en train de s’essouffler. En 2018, le nombre de permis de construire ayant été délivrés a diminué de 7,6 % par rapport à 2017. Or, les indicateurs que sont la construction, le volume de transactions et le prix de l’immobilier sont historiquement très corrélés entre eux, la chute de l’un entraînant celle des autres. En clair, la baisse de la construction s’accompagne le plus souvent d’une baisse des prix. Par ailleurs, de plus en plus de ménages jugent les prix « irréalistes », ce qui peut les conduire à retarder leurs projets immobiliers, voire à y renoncer. Les futurs acheteurs sont également de moins en moins nombreux à anticiper une hausse des prix des logements. C’est un signal que les anticipations des ménages sont en train de se retourner. Or ces anticipations sont très importantes pour comprendre l’évolution du marché : les hausses nourrissent les hausses, et les baisses nourrissent les baisses. Enfin, il existe un décalage de plus en plus insoutenable, notamment dans plusieurs grandes villes, entre l’augmentation des prix immobiliers et l’augmentation des revenus. Ce sont autant de signes qui laissent à penser qu’un retournement du marché pourrait s’opérer dans un futur proche.

49 % des Français craignent une dégradation du contexte économique

Observatoire du moral immobilier - LogicImmo

Nous sommes probablement à la fin d'un cycle de hausse du prix des logements ».

Thomas Grjebine

N’avez-vous pas l'impression de jouer les oiseaux de mauvais augure ?

Les indicateurs de l’immobilier ne sont rassurants qu’à court terme. Aussi encourageants soient-ils, ces indicateurs ne sauraient dissimuler d’autres signaux sous-jacents dont l’importance ne doit pas être sous-estimée. Or, l’analyse de ces signaux montre que nous sommes probablement à la fin d’un cycle de hausse du prix des logements. Les cycles immobiliers se succèdent et l’histoire tend à se répéter. C’est d’ailleurs ce que montre l’expérience des pays étrangers. À des phases de hausse de prix succèdent des périodes de transition puis de baisse. Un peu à la façon des montagnes russes.

À un boom immobilier succède donc inévitablement une phase de récession ?

C’est ce qui se produit notamment lorsque l’on observe un décalage très important entre l’évolution des prix immobiliers et l’évolution des revenus des ménages. Dans les grandes villes des États-Unis mais aussi en Espagne ou encore en Irlande, au cours des années 2000, le prix des logements a augmenté beaucoup plus fortement que les revenus des habitants… Très vite, cette dynamique est devenue insoutenable et cela a contribué au krach immobilier de 2007. À la suite de ce retournement du marché, les prix immobiliers sont alors retombés au niveau qui était le leur au début des années 2000. La France et en particulier Paris où l’on n’a pas connu de telles corrections font ainsi plutôt figures d’exception.

Les indicateurs clés du marché immobilier en France

https://youtu.be/AXH27oZi36U

Pourquoi s'endetter pour acheter - trop cher - un bien... 

... qu’on ne pourra revendre qu'en acceptant une moins-value ? »

La perception qu’ont les Français des prix immobiliers - qu’ils trouvent déconnectés de la réalité - marque-t-elle la fin d’un cycle ?

Au début d’un cycle de hausse, il est normal d’anticiper que les prix vont continuer de progresser. Au contraire, en fin de cycle, les acheteurs potentiels misent davantage sur une baisse de prix qu’ils jugent déraisonnables et qui les empêchent – en dépit de conditions de crédit très avantageuses – d’acheter leur logement. Il faut bien voir que c’est la demande des ménages qui dicte en grande partie l’évolution du marché immobilier. Pourquoi choisit-on de devenir propriétaire ? Parce que l’on se dit que les prix allant en augmentant, il y a urgence à acheter avant qu’il ne soit trop tard… Il faut donc se hâter d’acheter pendant qu’on en a la capacité financière. De plus, acheter permet d’anticiper une éventuelle plus-value à la revente. Mais dès lors que cette dynamique s’inverse et que les candidats-acheteurs en arrivent à la conclusion que les prix sont tellement hauts qu’ils ne pourront que redescendre, alors à quoi bon s’empresser de s’endetter pour acheter - trop cher - un bien qu’on ne pourra revendre qu’en acceptant une moins-value ? Voilà pourquoi, à une phase de hausse des prix immobiliers, succède presque mécaniquement une phase de contraction des prix.

Bon à savoir

Une étude de Logic-Immo a montré que 60 % des acheteurs considèrent que les prix immobiliers sont irréalistes. En Île-de-France, ils sont 65 % à le penser.

Sommes-nous en présence d’une bulle immobilière en France ?

Il est difficile de définir précisément une bulle immobilière. On peut néanmoins considérer qu’on est en présence d’une bulle lorsque plusieurs conditions sont réunies. D’une part, l’évolution des prix immobiliers et celle des loyers sont déconnectées l’une de l’autre. Cela signifie que la valeur de « l’actif immobilier » est déconnectée de ses rendements. D’autre part, on peut parler de bulle lorsqu’il existe un net décalage entre l’évolution des prix immobiliers et l’augmentation des revenus. Or, ce sont deux conditions que le marché immobilier, en particulier dans certaines grandes villes françaises (Paris, Lyon) remplit.

En France, la bulle immobilière se dégonflerait peu à peu…

… plutôt qu'elle n'éclaterait brusquement ».

En cas de retournement, cette bulle immobilière éclatera-t-elle ?

Dans les pays anglo-saxons, les propriétaires souscrivent des crédits immobiliers à taux variables. Ils se retrouvent rapidement étranglés lorsque les taux remontent et se voient alors contraints de vendre. En France, c’est différent. Les choses se passent de façon plus progressive, plus lissée. On peut penser que la bulle se dégonflerait peu à peu plutôt qu’elle n’éclaterait brusquement. C’est ce qui s’était passé à Paris entre 1991 et 1997 où les prix (corrigés de l’inflation) avaient baissé de plus de 40 %. Ainsi, plutôt qu’à une baisse brutale des prix, c’est davantage à un tassement des prix (en 2019-2020 suivi d’une baisse progressive qui s’étalerait sur trois ou quatre ans) qu’il faut s’attendre. Mais s’il est en phase de transition, un marché est particulièrement sensible aux variations de taux d’intérêt ainsi qu’à la dégradation des aides fiscales à l’accession à la propriété. Celles-ci doivent donc être scrutées avec le plus grand intérêt.

Si le marché hexagonal se retourne, qui seront les perdants et les gagnants ?

En cas de baisse des prix, les grands gagnants seraient les jeunes couples que le niveau très élevé des prix actuels empêche d’accéder à la propriété. Cela réduirait donc les effets pervers liés au niveau très élevé des prix, notamment en termes d’inégalité. Mais d’un point de vue macroéconomique, un retournement serait aussi synonyme de destruction d’emplois. Dans le secteur de la construction, notamment.

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Thomas Grjebine
Thomas Grjebine travaille au Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII).
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