L’agence Appart & Sens, qui a initié le concept d’immobilier solidaire à Lyon depuis 3 ans, s’installe à Paris pour y introduire la notion d’investissement responsable. Un concept gagnant-gagnant, que nous décrit sa fondatrice et dirigeante, Caroline Liby.
Quelle est l’histoire d’Appart & Sens et comment vous définissez le concept d’immobilier solidaire ?
Caroline Liby. Appart & Sens est issu d’un double parcours, à la fois professionnel et personnel. J’ai toujours baigné dans le domaine de l’immobilier et de l’administration de biens, et j’ai exercé durant quelques années dans la gestion d’actifs, avant d’exercer auprès d’un bailleur social en Seine-Saint-Denis. Lorsque je suis arrivée à Lyon en 2008, en pleine crise immobilière, j’étais enceinte, et je travaillais chez Habitat Humanisme. J’ai acquis l’expérience et les codes du logement social et humanitaire à ce moment-là, et j’avais comme aspiration de faire de l’immobilier différemment. Et puis je me suis séparée du père de ma fille, et j’ai rencontré de grandes difficultés pour trouver un appartement parce que j’étais maman solo, alors même que j’étais en CDI, que ma situation était stable, que j’avais un garant et les codes du milieu de l’immobilier. Et je me suis dit que si moi-même je rencontrais autant de difficultés, les personnes qui n’avaient pas les codes du milieu, qui ne sont pas en CDI et qui ont des salaires moins élevés devaient avoir encore plus de difficultés. Appart & Sens est né de ce constat et de ce parcours, en 2017.
Qui sont les personnes qui peuvent prétendre à l’immobilier solidaire ?
Ce sont des personnes qui sont solvables, qui ne relèvent pas du logement social alors qu’elles pourraient y accéder au même titre que 70 % de la population, mais qui n’y ont pas accès. Il peut s’agir de parents solos, de jeunes qui démarrent dans la vie et qui sont sans garant, en CDD ou en CDI en période d’essai, de personnes qui reviennent de l’étranger et qui sont confrontées à des difficultés parce que les feuilles d’imposition étrangères représentent un obstacle, de créateurs d’entreprises, d’indépendants, d’intermittents, de personnes qui subissent des discriminations parfois liées au handicap. En réalité, de nombreuses personnes sont solvables mais rencontrent de grandes difficultés pour trouver un appartement.
« Nous inversons la pile : les candidatures qui seraient en bas de la pile dans une autre agence, se retrouvent prioritaires chez nous »
Caroline Liby, gérante d’Appart & Sens
Concrètement, quelle est la mission d’Appart & Sens ?
Notre mission est de mobiliser les propriétaires bailleurs, pour qu’ils souhaitent donner du sens à leur démarche. Ce sont souvent des personnes qui souhaitent s’inscrire dans une démarche responsable et une réflexion poussée dans leur consommation, et nous leur permettons de pousser leur réflexion jusqu’à l’immobilier. Les propriétaires nous amènent donc des appartements qui peuvent être encadrés par un dispositif tel que Pinel, ou sans dispositif au prix du marché, auquel cas nous menons une réflexion au sujet du loyer, pour le propriétaire puisse ajuster le montant, mais il s’agit toujours d’un échange. Quoi qu’il en soit, nous sommes toujours attentifs au profil du candidat, nous essayons de positionner des candidatures réellement solvables mais avec des profils qui rencontrent des difficultés.
Sur quelle base vous vérifiez la solvabilité des candidats ?
Nous sommes par exemple attentifs à la règle des 33 % d’endettement, mais nous prenons en compte les allocations en tous genres dans ce calcul. Donc nous prenons en compte l’ensemble des ressources que perçoit le candidat chaque mois, et les propriétaires nous font confiance car nous sommes des professionnels de l’immobilier depuis 20 ans, certains viennent du logement social, donc nous pouvons agir sur les dossiers jugés difficiles et qui en réalité ne le sont pas. Nous avons également des systèmes assuranciels adaptés, et ce qui fait également la différence, c’est que le propriétaire rencontre réellement le locataire, et ça crée de belles histoires.
Certains produits d’investissement responsable gérés par Appart & Sens sont commercialisés sur SeLoger.
Vous avez également lancé l’accompagnement des promoteurs dans le même esprit d’immobilier solidaire, en quoi cela consiste ?
Les promoteurs ont en effet un quota SRU à sortir, et leur réflexe est souvent le recours au bailleur social. Et nous proposons quelque chose de différenciant puisque dans certains secteurs comme dans l’ouest parisien par exemple, on relève des carences assumées par les collectivités qui souhaitent parfois satisfaire les revendications de leur électorat, hostile au logement social. Et nous allons donc voir les élus en leur démontrant qu’il est possible de produire du logement social avec des investisseurs privés qui vont prendre le profil du bailleur social. Nous mettons en place un montage qui s’apparente au logement social et qui relève de la loi SRU, mais avec des investisseurs responsables, qui deviennent des propriétaires engagés puisque par la suite, nous nous chargeons de la gestion locative. Dans la mesure où nous échangeons en amont avec les élus et les promoteurs, où nous accompagnons les investisseurs et où nous gérons derrière, nous proposons une solution packagée qui rassure tous les acteurs.
Votre agence est donc inscrite dans l’économie sociale et solidaire ?
Tout à fait, et elle est d’ailleurs agréée ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale), nous avons donc un pied dans l’immobilier traditionnel, et un autre dans tout ce qui relève des solutions impactantes. Cela nous permet de rester agiles et de justifier à la fois des codes vis-à-vis des promoteurs, et en même temps de répondre aux besoins des collectivités sur les problématiques de logement et de vivre ensemble.
Vous avez pu asseoir votre expertise à Lyon, quelle est la prochaine étape ?
Nous arrivons à Paris avec le même concept. Des propriétaires sont en train de nous confier des logements en gestion, notamment l’un au mois de juillet, et d’autres en opération avec un promoteur dans le 20e. Nous sommes donc en train de nous déployer pour arriver en douceur à Paris, en sachant que Paris présente d’autres spécificités, et les difficultés pour accéder au logement sont encore plus grandes.
- Loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) : cette loi définit les règles en termes de mixité sociale et d’urbanisme.
- ESUS : Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale.
- PLS : Prêt Locatif Social.
Quel est le profil des propriétaires solidaires ?
En termes d’investisseurs, nous avons eu affaire au démarrage à des professionnels de l’immobilier qui sont très bien rodés à tous ces dispositifs, qui comprennent les montages mis en place et qui nous font pleinement confiance. Mais nous voyons également arriver de jeunes investisseurs d’une trentaine d’années, qui veulent donner du sens à tous leurs actes de consommation et qui ont envie d’investir à l’aide de dispositifs qui sortent du Pinel et du traditionnel. Ces personnes souhaitent rétablir une sorte d’équilibre, sans tomber dans la philanthropie car il s’agit malgré tout de montages.
Pouvez-vous nous décrire ces montages ?
Pour réaliser ces montages, nous avons affaire au Prêt Locatif Social (PLS) qui permet de faire une acquisition à un prix moins élevé que celui du marché car le taux de TVA est à 10 %. On y adjoint le dispositif Cosse qui relève de l’Anah sans travaux. Par la suite, on essaie de positionner le loyer entre 30 et 70 % selon les opérations. Nous sommes donc faiblement fiscalisés et donc nous attirons des personnes qui ont une réflexion patrimoniale assez poussée, qui veulent diversifier leur portefeuille. Tout cela permet de réaliser un déficit foncier dans le neuf, mais également d’avoir un impact en logeant des personnes solvables et en difficulté.
Pouvez-vous nous préciser pourquoi ? (facultatif)