Michel Mouillart : « Le prix immobilier ne baisse pas et ne baissera pas en 2021 ! »
Alors que l'année 2020 est sur le point de s'achever, quel bilan immobilier faut-il en tirer ? Et à quoi pouvons-nous attendre pour 2021 ? Michel Mouillart, porte-parole du baromètre LPI-SeLoger nous livre ses prévisions.
2019 a été une année historique. Quel impact la crise sanitaire a-t-elle eu sur le marché immobilier français ?
Michel Mouillart. Quand bien même la crise sanitaire ne serait pas survenue, l’année 2020 n’aurait pas pu égaler 2019. En effet, il faut se souvenir que, dès le début de l’année 2020, le resserrement de l’accès au crédit qu’avait souhaité la Banque de France, avait commencé à impacter l’activité du marché de l’immobilier ancien. Dans un premier temps, beaucoup d’observateurs n’ont pas mesuré les conséquences que cela allait avoir. Et comme le début de l’année 2019 n’avait pas été exceptionnel, ils ont considéré que les ventes iraient forcément en s’améliorant. Mais le 17 mars, le premier confinement a été mis en place. Or, ce premier confinement a été d’une brutalité exceptionnelle. On avait rarement assisté à un tel effondrement de l’activité dont le creux s’est situé en avril. La baisse d’activité a été telle que la sortie de ce premier confinement s’est faite, pour beaucoup, dans l’euphorie et s’est traduite par un rebond technique des ventes. Entre avril et juillet, les ventes ont ainsi progressé de 460 % ! Beaucoup ont alors considéré que c’en était fini de la crise que le marché de l’ancien avait traversée. D’autant que, lors du confinement, beaucoup d’enquêtes ont annoncé un renouveau fantastique de la demande, un éloignement des centres-villes, la recherche d’un espace supplémentaire pour pouvoir télétravailler et une hausse des achats de maisons individuelles.
« Entre avril et juillet 2020, les ventes ont ainsi progressé de 460 % ! »
Michel Mouillart, porte-parole du baromètre LPI-SeLoger
Ces changements ont-ils eu lieu ?
Non. Ce n’étaient là que des espérances, des mirages. Entre la sortie du confinement et les mois de mai à juillet, nous avons ainsi été submergés par une véritable vague d’euphorie. D’ailleurs, si l’on regarde ce qui s’est passé, force est de constater qu’au final, les mois de juin et de juillet ont été de bons mois. L’activité enregistrée au cours de ces deux mois a été bien supérieure à ce que l’on observe habituellement à cette période de l’année. Voilà pourquoi, alors que le premier confinement a certes été un gros choc pour beaucoup, le début de l’été aura été, si l’on s’en tient à l’évolution des ventes d’un mois sur l’autre, confortable. Pour autant, cela ne saurait masquer le fait qu’une partie importante des ventes, qui avait été perdue durant le confinement, n’a pas été retrouvée par la suite : la perte d’activité n’a pas été comblée. Quels que soient les observateurs et la méthode employée (baromètre LPI-SeLoger, volume de crédits accordés pour acheter des logements anciens, volumes d’actes de vente signés chez les notaires), le constat reste le même : à fin septembre, l’activité avait accusé un recul de 14 % par rapport à 2019.
« À fin septembre, l’activité avait accusé un recul de 14 % par rapport à 2019 »
Michel Mouillart
Qu’en est-il du prix de l’immobilier ?
Le confinement a impacté l’activité du marché immobilier hexagonal. Pour autant, les prix ne baissent pas. Pendant les 55 jours qu’aura duré le premier confinement, la hausse des prix immobiliers a ralenti. Mais un ralentissement n’équivaut pas à une baisse. Beaucoup se sont d’ailleurs emballés, échafaudant des projections fantaisistes et anticipant un recul des prix, qui ne s’est pas produit. Loin s’en faut même, car dès la fin du confinement, la hausse a repris de plus belle. À tel point qu’il n’est aucune ville de plus de 100 000 habitants où les prix baissent. C’est totalement inédit. Et je consens que la situation puisse sembler paradoxale. Car alors que l’on a connu une crise quantitative très importante et que les Français s’attendaient à ce que les prix reculent, en réalité, ils n’ont pas baissé et le rythme de la hausse s’est même amplifié.
« Les prix immobiliers n’ont pas baissé et le rythme de la hausse s’est même amplifié ! »
Michel Mouillart
Comment se fait-il que les prix des logements ne baissent pas ?
Parce que le marché et la demande ont connu une transformation. Celle-ci a été renforcée par la crise sanitaire mais elle s’était amorcée dès le resserrement de l’accès au crédit. À partir de ce moment, ceux qui n’étaient plus en capacité d’acheter - qu’il s’agisse de leur résidence principale ou d’un investissement locatif - ont dû se retirer du marché. Or, ce sont principalement les ménages modestes qui ont été pénalisés de la sorte, ces ménages devant bien souvent s’endetter à 90 % voire à 100 % pour pouvoir financer leur achat. En revanche, ceux qui sont restés sur le marché et se sont adaptés, ce sont les ménages les plus aisés. Le marché s’est transformé. Et la part des ménages aux revenus supérieurs s’est accrue. Le mouvement d’auto-alimentation de la hausse des prix s’est donc poursuivi. D’autant que dans les métropoles, les marchés sont des marchés de pénurie. Bien sûr, on construit. Mais pas suffisamment. Cela ne fait qu’aggraver le déséquilibre entre l’offre et la demande. Et il n’y a, à ce jour, aucune raison pour que cette tendance s’inverse.
« Dans les métropoles, les marchés sont des marchés pénuriques »
Michel Mouillart
Selon une étude SeLoger, 38 % des acheteurs anticipent un recul des prix.
C’est un souhait parfaitement compréhensible. Mais qu’en est-il des vendeurs ? Sont-ils prêts à baisser leurs prix ? La réponse est presque sûrement non, si l'on en croit les prix auquels les biens proposés à la vente sont présentés sur le marché
Diriez-vous du marché de la maison que la crise sanitaire l'a renforcé ?
Je ne compte plus les enquêtes - réalisées lors du confinement - qui soulignaient que la demande pour la maison individuelle connaissait un véritable renouveau, que le besoin de quitter les grandes villes n’avait jamais été aussi pressant et que le marché s’en trouverait redynamisé. Tout cela n’était pas forcément révélateur des tendances à venir du marché. Les sondeurs avaient tout simplement omis de s’intéresser à ce qui s’était passé auparavant. Car si l’on observe le marché de la maison individuelle, dans l’ancien comme dans le neuf, entre 2015 et 2019, on note qu’il représente un peu plus d’¼ des transactions réalisées par les ménages dans l’agglomération parisienne.
En revanche, sur les communes de moins de 20 000 habitants, les achats de maisons individuelles représentent plus de 90 % des transactions : en 2015, 87 % des achats immobiliers y concernaient des maisons individuelles et en 2019, cette proportion était de 95 %. C’est-à-dire qu’au cours de la seconde moitié des années 2010, s’est imposée une réalité : si l’on veut s’acheter une maison individuelle, ce n’est pas dans l’agglomération parisienne qu’il faut chercher ni dans les villes de plus de 100 000 habitants. Il faut, au contraire, prospecter du côté des villes de moins de 20 000 habitants et des communes rurales. Or ceux qui répondaient aux sondeurs qu’ils ne voulaient plus vivre en appartement et voulaient acheter une maison individuelle n’envisageaient pas de s’éloigner outre mesure des grandes villes ni de renoncer aux commodités urbaines. Une confusion s’est donc produite.
Et le rêve s’est heurté à la réalité. Si certains ménages en ont la capacité financière, parce qu’ils gagnent au moins 10 Smic par mois, ils peuvent envisager d’acquérir une maison individuelle à Ville-d’Avray ou à Saint-Cloud. Mais cet exemple n’est pas représentatif de ce qu’est la demande. Ce qui l’est, en revanche, ce sont tous ceux qui ne peuvent s’offrir une maison individuelle qu’à condition de renoncer à la proximité des grandes villes et de consentir à se délocaliser.
« Sur les communes de moins de 20 000 habitants, les achats de maisons individuelles représentent plus de 90 % des transactions »
Michel Mouillart
L’attractivité des villes secondaires, proches des grandes villes s’est accrue. Orléans ou encore Rouen constituent désormais des alternatives aux prix parisiens. La France périphérique tient-elle là sa revanche ?
L’attrait de villes comme Orléans ou Rouen préexistait à la crise sanitaire. Ce déplacement géographique du marché constitue une évolution qui date de 3-4 ans et qui plonge ses racines dans une profonde transformation de la demande. Sur Orléans, le rythme de la baisse des prix avait ralenti dès la fin de l’année 2019. Pour évoluer progressivement vers une tendance haussière dès le printemps 2020.
Le déplacement de la demande n’est donc pas à mettre entièrement au crédit du télétravail…
Non. Il s’agit d’un mouvement de fond qui s’est initié bien avant que ne survienne la crise sanitaire. Le télétravail n’est que l’une des facettes de cette transformation du marché. Mais le développement du télétravail ne pourra s’ancrer dans la réalité du marché immobilier qu’à condition qu’il soit retranscrit dans les pratiques acceptées par les partenaires sociaux. D’autre part, faire du télétravail dans le Creuse ou en Lozère peut s’avérer plus compliqué qu’en première couronne parisienne. L’éradication des zones blanches est donc une autre condition nécessaire à la pérennisation du télétravail dans notre pays. Enfin, à terme, le télétravail devra s’accompagner d’une relocalisation des centres de production, d’une démétropolisation de la croissance.
« L’éradication des zones blanches est une autre condition nécessaire à la pérennisation du télétravail »
Michel Mouillart
L’exode urbain tant annoncé n’aura donc finalement pas eu lieu ?
La demande s’est déplacée. Pour autant, ce mouvement ne date pas d’hier. Il est apparu il y a une vingtaine d’années de cela. Plus près de nous, entre 2015 et 2019, 160 000 néo-accédants - neuf et ancien confondus - à la propriété supplémentaires ont été comptabilisés. Mais où se sont-ils installés ? Principalement dans des villes de moins de 100 000 habitants. Alors que sur l’agglomération parisienne et dans les villes de plus de 100 000 habitants, le nombre des achats a stagné.
Les citadins confinés se seront donc contentés de rêver de maisons ?
Oui. Ils ont eu besoin de se projeter. C’est pourquoi ils ont consulté des annonces immobilières de maisons. Mais l’intention ne vaut pas l’action.
Le marché du neuf semble souffrir d’une pénurie de stocks encore plus prononcée que celui de l'ancien.
En 2020, on est face à un double problème. D’une part, une forte contraction du marché de l’ancien. D’autre part, une diminution sensible du niveau de la construction, qu’il s’agisse de maisons individuelles ou de logements collectifs. En France, on ne construit pas suffisamment. Et l’on construit même de moins en moins. En conséquence de quoi, les tensions entre l’offre et la demande ne peuvent pas se résorber. C’est mécaniquement impossible.
« En France, on ne construit pas suffisamment. Et l’on construit même de moins en moins »
Michel Mouillart
Quid des disparités géographiques entre les territoires ? Le marché de l'immobilier hexagonal est-il toujours à deux vitesses ?
La crise sanitaire nous a rappelé que les équipements (hospitaliers, sanitaires…) étaient meilleurs dans les métropoles mais que le confinement y était plus difficile à vivre que dans de plus petites villes. Il est plus agréable d'être confiné dans une maison disposant d’un jardin que claquemuré dans un appartement. Le marché de l’immobilier hexagonal est donc bien un marché à deux vitesses. Et il le restera aussi longtemps que le pouvoir d’achat des ménages se concentrera sur les métropoles. Mais, comme je l’expliquais, le centre des métropoles ne peut pas offrir une qualité de vie comparable à celle de villes moins importantes.
Un mot sur les marges de négociation : quelles conditions devraient être réunies pour qu'elles remontent ?
Il n’y a plus de négociations. Les acheteurs achètent au prix. Le flottement et les incertitudes qui ont accompagné le premier confinement se sont évanouies. Et la baisse de la marge de négociation de se poursuivre inexorablement, dans toutes les régions de France et sur tout type de logement (appartement, maison). Pour que les marges puissent remonter, il faudrait que le déséquilibre entre une offre restreinte et une forte demande s’inverse. Or, pour cela, il faudrait que le marché soit correctement réalimenté et que les situations de fortes tensions entre l’offre et la demande s’atténuent.
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