Hausse des prix, évolution des taux, pouvoir d'achat immobilier, redistribution de l'attractivité des territoires… Thomas Lefebvre, Directeur Scientifique chez MeilleursAgents, nous livre son analyse du marché immobilier hexagonal et nous dévoile ses perspectives.
Avec plus de 1,2 million de transactions immobilières, est-il exagéré de dire que 2021 aura été une année record ?
Pas du tout. 2021 constitue véritablement une année record pour l’immobilier, avec des transactions à un niveau jamais atteint. Il faut se rappeler que 2019 avait, elle aussi, été une année exceptionnelle en termes de ventes de logements. En 2020, le marché était demeuré solide bien que la crise sanitaire ait paralysé l’activité immobilière entre mars et mai. Or, 2021 va au-delà, avec 1 230 000 transactions. Mais il faut bien voir que 2021 aura été une année record tant en termes de volumes de ventes que de prix. S’il y a deux chiffres à retenir car ils témoignent bien du dynamisme du marché de l’immobilier en 2021, ce sont d’une part, le volume de transactions enregistrées mais aussi les prix de vente qui augmentent sur la majeure partie du territoire pour atteindre, en moyenne, voire dépasser selon l’indicateur sur lequel on choisit de se baser, les 3 000 € du mètre carré dans l’ancien.
Ce sont là, selon moi, les deux faits saillants, qui illustrent le mieux, non seulement le dynamisme dont aura fait montre le marché immobilier hexagonal en 2021, mais également les effets du déplacement, de la redistribution pourrait-on dire, de la demande. Depuis la crise sanitaire, force est de constater que le marché de l’immobilier s’est orienté vers la province, avec des ventes de maisons qui y explosent.
« L’écart se creuse entre les grands centres urbains qui tendent à être moins prisés et les territoires périurbains dont l’attractivité est à la hausse »
Alors que les prix parisiens s'assagissent, le marché semble tiré par la province et notamment par les maisons.
C'est exact. En témoigne ce chiffre : en France, l’année 2021 s’achève sur une hausse des prix de vente des logements de l’ordre de 5 à 6 % environ. Si l’on s’intéresse à la typologie des biens, on constate que les appartements voient leurs prix augmenter de 3 % là où ceux des maisons accusent 7 % de hausse. On voit donc bien qu’il existe une réelle distorsion entre ces deux actifs. C’est une grande première car, habituellement, les évolutions des prix des maisons et celles des appartements sont identiques. Cette dichotomie prouve bien que la demande s’est largement recentrée sur les maisons et sur les zones péri-urbaines, en réponse, notamment, à la pandémie mais aussi à la banalisation du télétravail. Par conséquent, l’écart se creuse entre les grands centres urbains, d’une part, qui tendent à être moins prisés qu’ils ne l’étaient et les territoires périurbains, d’autre part, dont l’attractivité est à la hausse.
Il est d’ailleurs à noter que ces territoires - nouvellement prospectés par les citadins - s’ils sont éloignés des centres-villes, n’en demeurent pas moins sous influence économique urbaine. En clair, ce ne sont ni la Creuse ni la Drôme qui siphonnent les métropoles de leurs habitants car si ceux-ci consentent à s’éloigner pour pouvoir acheter plus grand, ils restent tout de même à proximité des grands centres urbains et des bassins d’emplois. À la rentrée dernière, Paris comptait 6 000 écoliers en moins en primaire et en maternelle. Beaucoup de ménages parisiens ont ainsi déménagé pour s’installer en proche ou grande banlieue, voire dans des villes moyennes de province. Au-delà des indicateurs que sont les prix de vente ou encore leur évolution, on voit donc bien qu’il s’est passé quelque chose, sociologiquement parlant.
La gentrification des petites et des moyennes villes est-elle en marche ?
On parle bien ici de villes qui remplissent certains critères comme une bonne interconnexion entre les différents modes de transport ou encore la présence d’un bassin d’emploi dynamique, etc. Effectivement, il est troublant de constater que la hiérarchie s’est inversée. Au cours des cinq dernières années, le marché était tracté par les dix grandes villes les plus économiquement dynamiques : Paris, Bordeaux, Lyon, Nantes… C’étaient ces métropoles qui affichaient les plus gros chiffres et qui faisaient office de locomotives sur le marché hexagonal. Or, voilà qu’aujourd’hui, en termes d’évolution de prix sur les douze derniers mois, ce sont des villes plus petites qui ont la main. Je veux parler de villes comme Brest, Angers ou encore Reims, pour ne citer qu’elles. Soyons d’accord, les villes que je viens d’évoquer ne sont pas des « micro-villes », tant s’en faut, mais toutes témoignent de cette inversion du rapport de force, de ce déplacement du centre de gravité des grandes villes traditionnellement attractives et tirant le marché vers le haut, sur d’autres, plus petites mais qui ont su tirer leur épingle du jeu. La crise sanitaire, la remise en question du cadre de vie qui l’a accompagnée et le développement du télétravail ont ainsi véritablement rebattu les cartes du marché immobilier dans notre pays.
Il est tout de même important de relativiser en précisant que si les hausses de prix sont aussi impressionnantes dans certaines villes, c’est parce que l’on partait parfois de plus bas. Par exemple, quand le prix de l’immobilier enregistre 20 % de hausse à Saint-Étienne sur les 5 dernières années, ça représente une hausse de l’ordre de 200 € du mètre carré. D’une manière générale, on voit donc bien que la demande s’est excentrée, à la fois vers des communes un peu plus petites mais aussi vers des territoires périurbains. L’exode des néo-ruraux, ces citadins qui retournent à la terre, reste par conséquent une tendance marginale.
Le déséquilibre entre l’offre et la demande devrait-il s’estomper ou s’installer ?
La demande devrait rester forte. Même si les conditions de crédit se sont quelque peu resserrées, les taux restent très bas et ça reste le bon moment pour devenir propriétaire. Il est également à noter que l’inflation fait son retour. Or, acheter de l’immobilier constitue un excellent moyen de se protéger contre l’inflation. Selon moi, il s’agit là d’un contexte qui ne peut que contribuer à stimuler la demande.
« Dans certaines villes, la perte de pouvoir d’achat immobilier est bien réelle »
Le faible niveau des taux d’intérêt compense-t-il (ou non) la forte poussée du prix de l’immobilier ?
Ça dépend où. Sur certains territoires, dans des villes comme Bordeaux, Nantes ou Lyon, par exemple, les prix ont incontestablement augmenté plus rapidement que les taux d’emprunt n’ont chuté. En clair, prix de vente et taux d’intérêt n’ont pas évolué sur le même tempo. Dans certaines villes, la perte de pouvoir d’achat immobilier est bien réelle. En revanche, dans la capitale, sur les cinq dernières années, la hausse des prix a accompagné le gain de pouvoir d’achat que procurait la baisse des taux. Le fait que le prix de l’immobilier parisien tende actuellement à reculer fait que l’on y regagne un peu de pouvoir d’achat. Ce qu’il est important de retenir, c’est que lorsque les taux sont bas, ce que l’acheteur ne verse pas à son banquier, il le paie - in fine - à son vendeur…
« La demande devrait se maintenir, les prix continuer d’augmenter et l’environnement de crédit demeurer favorable ».
Un conseil aux futurs acheteurs /vendeurs ?
Selon moi, il ne faut pas corréler la concrétisation de ses projets immobiliers à des éléments tels que les taux d’intérêt sur lesquels on n’a aucune maîtrise. Même si demain, les taux venaient à remonter, dans un contexte inflationniste, il resterait - plus que jamais - avantageux de devenir propriétaire. Si l’on a la possibilité d’acheter, j’estime donc qu’il faut le faire et qu’il ne faut pas retarder son projet parce que l’on craint une hypothétique hausse des taux d’emprunt. Mon conseil aux futurs acheteurs comme aux futurs vendeurs, ce serait plutôt de se poser les bonnes questions : pourquoi est-ce que je vends ? Pourquoi est-ce que j’achète ? Le bien que j’envisage d'acquérir correspond-il à mes besoins et à ceux de ma famille ? Se pourrait-il que, mes besoins évoluant, je doive le revendre dans deux ans ? Du côté des acquéreurs, miser sur une remontée des taux qui s’accompagnerait d’un recul des prix de vente, me paraît déraisonnable et retarder son projet d’achat parce que l’on espère que les prix baisseront me semble être un mauvais calcul. Au contraire, il est important d’acheter tant que l’on est en capacité de le faire.
À quoi devons-nous attendre pour les prochains mois ?
Je pense que 2022 sera une année dynamique, qu’elle restera propice à la réalisation de projets immobiliers, que la demande se maintiendra, que les prix vont continuer d’augmenter et que l’environnement de crédit demeurera favorable. Je pense aussi que la géographie immobilière qui s’est dessinée suite à la pandémie va durer, avec des territoires périurbains qui auront toujours le vent en poupe. Enfin, je ne vois pas les prix parisiens baisser. J’en veux pour preuve que les acquéreurs font leur retour dans la capitale.
Pouvez-vous nous préciser pourquoi ? (facultatif)