Alors qu'il vient de passer de 2,57 % à 3,05 % pour les prêts immobiliers de plus de 20 ans, le taux d’usure est plus que jamais au centre de toutes les attentions. On l'accuse, en effet, d'être à l'origine de 45 % des refus de demandes de prêt depuis janvier. Mais le taux d’usure, seul, suffit-il à expliquer la vague de refus qui déferle sur le marché de l’emprunt immobilier ? Le garde-fou s'est-il changé en boulet ? Sa récente revalorisation redorera-t-elle son image ? On fait le point avec Cécile Roquelaure, directrice des études et porte-parole d’Empruntis.
Qu’est-ce que le taux de l’usure, à quoi sert-il et comment est-il calculé ?
Concrètement, le taux d’usure c’est la ligne rouge que les banques ne doivent pas dépasser en matière de financement. Je dis bien « financement » et pas « crédit immobilier », qui n’est que la partie émergée de l'iceberg. Le financement inclut différents frais comme le taux de crédit, les coûts d’assurance et de garanties obligatoires, les frais de dossier et autres frais annexes pour la souscription d’un prêt immobilier. Or, le cumul de ces frais permet de calculer le taux d’intérêt annuel effectif global (TAEG). C’est ce taux que l’on compare au taux d’usure, c'est-à-dire au taux maximal auquel les banques ont le droit de prêter, la fameuse ligne rouge qu’elles ne doivent pas franchir.
Quant à la mécanique de calcul du taux d’usure, elle est fixée par la Banque de France, qui prend appui sur les taux effectifs moyens pratiqués par les banques le trimestre précédent et y ajoute un tiers pour définir le seuil d’usure, qui s’applique ensuite pendant toute la durée du trimestre. Mais si la vocation du taux d’usure est bien de protéger le consommateur des risques de surendettement, il ne joue plus son rôle.
« Les banques ont été prises en étau entre la hausse du coût de refinancement et un taux d’usure trop bas ».
Comment expliquer que ce taux soit devenu un obstacle alors que le crédit coulait à flots il y a encore quelques mois ?
2022 est une année assez atypique et il faut regarder dans le rétroviseur pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui en coulisses. En 2021, les taux de crédit immobilier étaient au plus bas, de l’ordre de 1 % sur 20 ans en moyenne. Ils étaient à un plancher historique, on n’avait jamais connu ça en matière de crédit immobilier et puisqu’on était sur une période longue avec des taux durablement bas, le taux d’usure permettait de suivre leur évolution et suffisait largement à anticiper les éventuels frémissements à la hausse.
Mais depuis décembre dernier, plusieurs facteurs ont fortement contraint la distribution des prêts. La situation économique liée à la crise sanitaire et divers facteurs corrélés à la flambée inflationniste ont d’abord joué sur l’augmentation des taux de crédit. Or, pour fixer ses taux de crédit, une banque se base, notamment, sur ce que lui coûte l’argent qu’elle va devoir emprunter sur les marchés pour le prêter. Là encore, jusqu’à l’an dernier, les banques achetaient l’argent à taux zéro mais depuis, son coût a rapidement augmenté, et plus encore depuis les annonces de la Banque centrale européenne (BCE) en juillet dernier, qui a relevé ses taux directeurs pour contrer l’inflation galopante et les risques de bulle immobilière.
Les banques se sont alors retrouvées prises en étau entre la hausse du coût de refinancement et un taux d’usure trop bas, ce qui a fortement réduit leur marge de manœuvre et a créé un effet ciseau, puisque l’évolution des taux moyens pratiqué par les banques a été beaucoup plus faible que l’évolution du coût de l’argent. Pour certaines banques, prêter de l’argent a vite été synonyme de pertes, d’où nombre de refus de dossiers de crédit
« Le 1er octobre, une fenêtre de tir s'est ouverte avec la réévaluation à la hausse de ce taux, ce qui pourrait relancer un peu la machine à crédits ».
Les banques ont-elles tout de même une marge de manœuvre ? La contrainte liée au taux d’usure va-t-elle se desserrer ?
Le contexte actuel est des plus complexes, avec sa part d’imprévisibilité et une poussée de l’inflation qui agit sur plusieurs paramètres, dont la hausse des taux d’emprunt. Il est donc difficile d’anticiper et de faire des prévisions fiables. On sait que la remontée des taux devrait se poursuivre dans les prochains mois, mais ce que l’on maîtrise moins, c’est si l’OAT 10 ans (obligations assimilables du Trésor) va continuer de progresser, comme c’est le cas depuis plusieurs semaines.... Cet indicateur de référence détermine le taux auquel empruntent les banques sur les marchés et a donc un impact sur le pouvoir d’achat des ménages et leur capacité d’emprunt.
En même temps, plus on va avancer et plus, logiquement, les réajustements successifs du taux d'usure devraient redonner un peu de souffle aux banques. Déjà, le 1er octobre, une fenêtre de tir s'est ouverte avec la réévaluation à la hausse de ce taux, ce qui devrait relancer un peu la machine à crédits.
Autre bonne nouvelle : on a quasiment fini l’année en matière de crédit immobilier, du coup, tous les dossiers instruits à partir du mois d’octobre seront finalisés en 2023. Ils viendront donc alimenter les objectifs des banques sur un nouvel exercice et puisque les banques aiment bien démarrer l’année, elles devraient se montrer plus volontaires en vue d’atteindre au plus vite leurs objectifs et sécuriser ainsi leur plan de développement annuel. Si un dossier a essuyé un refus, c’est le moment de le faire réétudier pour voir si l’évolution du contexte est plus favorable.
Quelles solutions pour contourner le taux d’usure et se donner toutes les chances d’obtenir un prêt dans le contexte actuel ?
Déjà, il faut nuancer. Toutes les banques ne sont pas dans la même situation, leurs politiques financières varient d’une enseigne à l’autre, voire d’une agence à l’autre. Certaines disposent de plus de fonds que d’autres, elles ont donc moins besoin d’emprunter de l’argent sur les marchés et acceptent de rogner un peu sur leurs marges pour attirer de nouveaux clients. C’est un paramètre important à intégrer dans sa démarche d’accès au crédit immobilier.
À ce titre, le principal conseil à donner à toute personne ayant un projet immobilier et qui souhaite maximiser ses chances est, d’abord, de prendre le temps de préparer son dossier, d’être conseillée et accompagnée pour réaliser une étude approfondie de sa situation personnelle et professionnelle... Bref, d’analyser toutes les variables qui permettent de définir la capacité d’emprunt la plus réaliste possible et la faisabilité même du projet. Ce temps-là n’est pas négociable car se lancer dans la recherche d’un bien en se basant sur une simulation rapide avec sa banque, sans faire réévaluer son dossier de façon régulière, c’est prendre le risque d’avancer à l'aveugle et de choisir un bien finançable hier, mais qui ne l’est plus forcément au moment du compromis de vente.
D’où l’importance d’être conseillé et accompagné tout au long de son projet par un expert en courtage immobilier, jusqu’à la signature d’une offre qui correspond à son besoin et à ses capacités, en passant par la réactualisation régulière de son dossier. C’est une étape essentielle qui, dans le contexte actuel, permet de s’assurer que la capacité d'achat soit toujours au plus près des conditions proposées par les banques et de leurs évolutions.
Et pour en revenir au taux d’usure, le rôle du courtier consiste aussi à traiter avec les partenaires bancaires et à trouver toutes les solutions, négocier certaines variables du financement, analyser le spectre des prêts aidés, proposer certains montages financiers qui permettent de rogner sur le TAEG, afin de s’assurer qu’il soit bien en-dessous du plafond d’usure.
« Le crédit ne coule plus à flots mais le robinet n’est pas fermé pour autant ».
Un dernier conseil pour les aspirants à la propriété ? Le robinet à crédits va-t-il rouvrir ?
Aujourd’hui, pour voir aboutir son projet d’achat, il faut disposer des bonnes clés, avoir une idée réaliste de ses possibilités d’emprunt et ne pas hésiter à se faire conseiller et accompagner à chaque étape de son projet pour optimiser son dossier et veiller à ce qu’il soit réactualisé régulièrement. On a changé de monde en matière de crédit immobilier et l’âge d’or des taux historiquement bas est désormais révolu. On est passé d'une longue période où il était relativement aisé d’accéder au financement et où (presque) tout un chacun pouvait espérer devenir propriétaire, à un monde où chaque dossier se défend, se construit, en prenant en compte les évolutions du marché au jour le jour. Mais si le crédit ne coule plus à flot, le robinet n’est pas fermé pour autant.
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