Néo-ruraux : un projet de loi pour contrer leurs plaintes abusives pour nuisances

Laetitia Lapiana
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Depuis quelques années, l’installation de citadins en milieu rural fait grand bruit, la confrontation avec ses réalités étant parfois vécue avec quelques pertes d’illusions et grands fracas. Plaintes, conflits de voisinage et procès pour nuisances, qui pour le chant du coq, qui pour les cloches de l’église du village ou les effluves du fumier, se multiplient ainsi, face à une ruralité attaquée dans le cœur même de ses activités. Un projet de loi annoncé par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, vise à protéger les agriculteurs face à ce qu’il qualifie de faux procès. Explications.

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Une poule
Une loi pourrait voir le jour qui empêcherait les néo-ruraux de se plaindre de choses datant d'avant leur arrivée. © Getty
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Néo-ruraux et troubles de voisinage… des plaintes à la pelle !

Les migrations de citadins vers la campagne et les zones périurbaines vont bon train depuis longue date. Un phénomène amplifié par la pandémie du Covid-19 et les périodes de confinement associées, notamment pour les habitants des grandes villes et autres métropoles françaises qui, face à la densité urbaine, la pollution, le vacarme ambiant et, surtout, l’envolée spectaculaire des prix de l’immobilier, ont franchi le pas de changer radicalement de cadre de vie. Facilité par la démocratisation du télétravail, l’appel de la nature a donc joué son va-tout et rebattu les cartes de la mobilité résidentielle, bien souvent en faveur du fantasme champêtre. Seulement voilà, malgré une majorité d’installations réussies et de cohabitations harmonieuses entre néo-ruraux et gens « du cru », les litiges et procès pour « trouble du voisinage » continuent de défrayer la chronique. Chant du coq, coassements des grenouilles, fumier malodorant, effluves de crottin de cheval, moissonneuses bruyantes... on ne compte plus les motifs « saugrenus » de plaintes de la part des nouveaux arrivés, désarçonnés par les « manifestations naturelles » de la campagne !

Un projet de loi pour épargner aux agriculteurs les « faux procès »

Une situation qui a fait réagir le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui a annoncé, lors de son passage au Salon de l’Agriculture 2023, une proposition de loi sur la responsabilité civile visant à préserver les agriculteurs de ce type de litige. L’idée phare de ce texte de loi, qui devrait être présenté en septembre prochain, repose notamment sur le fait « qu'un voisin ne peut pas se plaindre de nuisances qui préexistent à son emménagement. […] Pour moi, c’est celui qui vient d’arriver qui doit s’adapter à l’autre », a martelé le garde des Sceaux.

Campagnes françaises et patrimoine sensoriel

Un projet de loi qui s’inscrit dans le droit-fil de la loi du 29 janvier 2021 « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises », autrement dit à introduire dans le code de l'environnement un inventaire des « sons et des odeurs » spécifiques à chaque territoire, au même titre que ses paysages, ses espaces naturels ou sa biodiversité. Même si l’inventaire des composantes « sonores » et « olfactives » est encore en cours de qualification en région, cette loi, qui fleure bon la campagne, a pour objectif de dissuader en amont les conflits pour trouble anormal de voisinage.

Portée par le député de la Lozère, Pierre Morel-À-L’Huissier, elle permet déjà aux maires ruraux et aux élus locaux de s’appuyer sur cette « carte d’identité naturelle » de leurs territoires et de leurs modes de vie, pour favoriser leur rôle d’arbitrage dans les contentieux entre riverains et, par ricochet, le bien vivre ensemble entre nouveaux et anciens ruraux.

Déjà en 2019, Bruno Dionis du Séjour, maire de Gajac (Gironde), avait pris la plume pour adresser aux parlementaires une lettre ouverte afin d’intégrer les bruits des villages et des animaux de la campagne au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une initiative qui avait fait le buzz et reçu des soutiens du monde entier.

 

Néo-ruraux, du rêve bucolique à la réalité du terroir

Il faut dire que la multiplication inquiétante de ces procès, qui continuent de faire les gros titres de la presse nationale (et internationale !), met en exergue des réalités territoriales et sociétales en pleine mutation, remodelées par l’arrivée de néo-ruraux, touristes ou citadins fraîchement installés en tête, qui contribuent à l’étalement urbain, souvent au détriment des zones rurales. En contrepoint, des agriculteurs et fermiers dépités, qui voient les surfaces agricoles se réduire à peau de chagrin et qui sont de plus en plus nombreux à faire l’objet de plaintes diverses et variées qui entravent leurs activités et finissent par peser lourdement sur leur moral. Du moissonnage nocturne aux bruits de tracteurs tôt le matin... tout y passe en matière de contentieux de voisinage, portés par des néo-ruraux qui ont choisi la vie à la campagne sans chercher à en accepter les «  particularités  sensorielles ».

En marge du cas emblématique du (feu) Coq Maurice et de son chant auroral, qui lui avait valu d’être traîné en justice par des plaignants horrifiés par ses vocalises, la presse n’a cessé de se faire l’écho de plaintes de tout poil partout sur le territoire : chants des cigales dans le Var, coassements des grenouilles à Grignols en Dordogne, caquetages intempestifs de canards à Soustons dans les Landes, cocoricos tonitruants du coq Marcel" dans le Morbihan,  cloches des vaches à Saint-Benoît dans l’Aude...

Activités agricoles, vers un encadrement législatif renforcé 

Des controverses qui touchent de plein fouet à l’identité même des campagnes, mais aussi l’activité agricole, qu’il conviendrait plutôt d’encourager à l’heure de la souveraineté alimentaire et de l’engouement pour les activités de proximité comme les circuits courts,  garantes de conditions de production et de qualité, par ailleurs, exigées par les consommateurs.

Autant de facteurs « d’intérêt général » qui nécessitent de préserver la ruralité dans toutes ses dimensions, y compris en faisant évoluer la loi vers plus de protection des activités agricoles face aux querelles de voisinage en milieu rural, qu’aucun texte n’encadre précisément pour l’heure. Une lacune que le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, compte bien corriger dans son projet de loi attendu en septembre afin de limiter les excès dans ce type de recours « surréaliste » et qui « encombrent la justice ».

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