Passoires thermiques : un report des interdictions de louer est-il inévitable ?

Laetitia Lapiana
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Après avoir nourri l’espoir d’un report de l’interdiction de location des passoires thermiques à échéances 2025-2034, le gouvernement a fait machine arrière en maintenant le calendrier initial. Un rétropédalage qui suscite colère et inquiétude chez les bailleurs et les professionnels du secteur face à l’ampleur de la crise du logement et aux difficultés à tenir les délais pour réaliser une rénovation thermique. Dans un tel contexte, est-il envisageable de maintenir les échéances imposées par la loi Climat malgré les nombreux freins liés aux exigences réglementaires ? Analyse.

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Un couple devant un ordinateur
Si les passoires sont présentes sur tout le territoire, Paris compte à elle seule 70% de logements classés E, F ou G. @ Getty
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Passoires thermiques : interdictions de louer à l'horizon

Opérationnel depuis le 1er janvier 2023 pour les biens les plus voraces en énergie (G+), le calendrier des interdictions de louer des passoires thermiques s’étendra à la classe G du nouveau DPE dès 2025, puis F en 2028 et E en 2034.

De fait, si rien ne change du côté de la loi, ce sont quelque 5,2 millions de logement étiquetés F et G qui, faute de rénovation thermique d’ampleur, seront interdits à la location. Concrètement, les propriétaires-bailleurs de ces passoires thermiques n’auront plus le droit de signer ou de renouveler de nouveaux baux de location aux échéances fixées par la loi, leur logement devenant « non-décent » et donc impropre à la location.

Près de 17% du parc immobilier français est composé de passoires thermiques (étiquettes F et G).

Loi Climat et Résilience : des objectifs vertueux, mais à quel prix ?

Promulguée le 24 août 2021 en vue d’inciter à la rénovation des logements les plus énergivores, la loi Climat et Résilience entend ainsi jouer sa partition dans la lutte contre le réchauffement climatique et le mal-logement, mais aussi contribuer à l'objectif de neutralité carbone à horizon 2050, sachant que le bâtiment représente 44 % de l'énergie consommée en France et 22 % de ses émissions de gaz à effet de serre...

Une ambition vertueuse, nécessaire, urgente. Certes. Mais qui n’est pas sans pertes et fracas pour le secteur, à l’heure où le logement connaît une crise sans précédent, avec des tensions très vives sur le marché et une pénurie sévère de biens à la location dans les zones les plus tendues, partout sur le territoire.

Promesses, contre-promesses et couac gouvernemental

C’est dans ce contexte que les propos du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui s’était dit « favorable, à titre personnel » à un report de calendrier dans une interview accordée au Parisien le 26 septembre dernier, ont suscité une vague d’espoir chez les professionnels de l’immobilier et les propriétaires-bailleurs. « Tout ce qui a été décidé avant la hausse des taux mérite d’être regardé à nouveau à l’aune de cette crise », a déclaré Bruno Le Maire, en estimant que l’inflation avait aussi changé la donne. « Il faut être très pragmatique et regarder si on peut décaler les calendriers, en particulier pour les copropriétés », a-t-il détaillé.

Mais le soulagement n’a été que de courte durée, car dès le lendemain, le ministre a battu en retraite, en affirmant réfléchir à la manière dont le gouvernement pouvait faire preuve de plus de souplesse et de clarté, mais qu’il n’était pas question de modifier le calendrier tel qu'il a été déterminé. Et c’est bien là le problème...

Des délais de mise aux normes jugés « intenables »

Situation géopolitique internationale des plus sensibles, forte inflation, flambée des taux d’emprunt, crise énergétique, gel des transactions immobilière un peu partout sur le territoire, baisse du coût de la pierre... Mais encore, décotes importantes des passoires, qui font l’objet de mises en vente massives, notamment par les propriétaires n’ayant pas les moyens de financer les travaux de mise aux normes pour pouvoir louer...

Indéniablement, le contexte actuel n’a plus rien à voir avec la situation au moment de l’entrée en application de la loi Climat. Les cris d’alarme continuent de se multiplier sur la crise du logement, les conséquences délétères sur le marché de l'immobilier et les difficultés des propriétaires à financer les travaux de rénovation. Qui plus est dans des délais jugés « intenables » par la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), qui rappelle que dans un marché en forte tension, dénicher un bien à la location dans le parc privé sera presque comme chercher une aiguille dans un botte de foin à compter de 2025.

Un facteur aggravant pour la crise du logement, considérant que, d’après le gouvernement, 600 000 logements passeront sous la coupe de l’interdiction au 1er janvier 2025, tandis qu’un total de 1,6 million étiquetés F et G pourraient sortir du parc locatif d’ici 5 ans, faute de moyens pour les rénover. Un ordre de grandeur phénoménal dans un marché où la demande ne cesse de croître face à la pénurie criante de l’offre locative.

Rénovation du parc locatif : des contraintes majeures

Il faut dire que les conditions imposées par la loi sont particulièrement strictes et que les bailleurs sont à la fois confrontés à des travaux d’ampleur particulièrement onéreux – de 10 000 à 35 000 euros en moyenne pour une rénovation thermique –, et à de longs délais d’attente auprès des professionnels du bâtiment, qui peinent à tenir la cadence.

Pire, l’épée de Damoclès se transmute en casse-tête chinois pour le logement collectif, quand on sait qu’il faut en moyenne 3 ans entre les premières discussions et le démarrage effectif des travaux, à condition d’obtenir une décision favorable en AG (assemblée générale), ce qui n’est pas une mince affaire. Autant dire que dans le cas des copropriétés, la mission s’avère quasi impossible.

Sur les quelque 1,6 million de passoires du parc locatif privé, 63% sont des copropriétés. Or, selon les données collectées par la Fnaim, dans plus de 40 % des cas, les travaux de rénovation sont tributaires d’une décision en Assemblée générale de copropriété, ce qui ne permet pas de se conformer aux délais réglementaires de la loi Climat.

Des aides étatiques dopées, mais est-ce suffisant ?

Reste que, si le gouvernement se montre inflexible (jusqu’à nouvel ordre ?) sur le calendrier de mise en conformité des passoires destinées à la location, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher a réaffirmé le soutien de l’exécutif pour accompagner les propriétaires dans cette transition et déclaré réfléchir à certaines dérogations « ciblées et pragmatiques », notamment à l’égard des copropriétés et des propriétaires « de bonne foi » qui n’ont pas pu réaliser les travaux de rénovation dans les temps impartis.

En matière d’aides à la rénovation, divers assouplissements, ainsi que des aides renforcées à la rénovation ont été annoncés par la ministre, sans plus de précisions, hormis la révision du DPE pour plus de fiabilité et un budget dopé pour les crédits alloués à la rénovation énergétique.

De fait, le budget d’État alloué à MaPrimeRenov’ passe de 2,4 à 4 milliards d'euros en 2024, soit 1,6 milliard d’euros de plus qu’en 2023, un bonus indispensable pour des travaux thermiques d’ampleur, qui permettra de financer des chantiers allant jusqu’à 70 000 euros, contre 35 000 actuellement. Un coup de pouce appréciable, mais qui ne cible que les ménages modestes et très modestes, alors que les difficultés à entreprendre de tels travaux séance tenante restent entière pour une grande majorité de bailleurs.

Alors, sans aller jusqu'à repousser indéfiniment ces délais, l’attente est forte pour qu’un report soit réellement acté par le gouvernement, faute de mesures suffisantes pour réussir le pari de la rénovation thermique par le plus grand nombre.

Le site France Renov regroupe l’ensemble des principales aides financières, mesures d’accompagnement et conseils personnalisés autour des travaux de rénovation énergétique, comme MaPrimRenov’, l’éco-prêt à taux zéro ou les subventions de l’Anah.

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